Quand le piano rencontre le vin : l’art des accords musicaux et sensoriels de Julien Gernay
Et si un vin pouvait résonner comme une note de musique ? Pianiste et passionné de vin, Julien Gernay crée des concerts-dégustations où chaque cuvée dialogue avec une œuvre musicale.
Bonjour Julien, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis pianiste depuis l’âge de 6 ans. Après mes études au Conservatoire de Paris au début des années 2000, je suis devenu musicien classique professionnel. Je joue en solo, ou avec orchestre, en France comme à l’étranger, et j’enseigne aujourd’hui au Conservatoire de Paris et à l’École Normale, en piano et musique de chambre.
À côté de ça, je suis un grand amateur de vin. En 2019, j’ai sorti l’album Vinophony, qui proposait des associations entre morceaux musicaux et vins. C’était pour moi une manière de relier deux passions et d’imaginer une expérience : une dégustation musicale en live où le public goûte les vins que j’ai choisis en simultané avec la musique.
Qu’est-ce qui vous a amené du piano aux vignes (et inversement) ? Y a-t-il eu un déclic ?
Le vin m’accompagne depuis toujours. Mon père était un grand amateur et, à chaque repas de famille, depuis assez jeune, j’attendais ce moment où il ouvrait une grande bouteille, car je savais qu’il allait se passer quelque chose de particulier, il y avait une attente. Ce moment de partage m’a marqué.
Pour ma part, j’ai d’abord aimé les liquoreux, puis les blancs de Bourgogne et enfin les rouges. Plus tard, ma rencontre avec ma femme, sommelière, a renforcé ce lien. Elle travaillait en restauration, aujourd’hui dans un domaine, et c’est en discutant avec elle que j’ai commencé à m’intéresser de façon plus précise. Mais je tiens à rester du côté de l’émerveillement, pas de la technique pure : c’est ce regard de profane que je veux conserver.
Concrètement, comment associez-vous musique et vin ?
J’ai remarqué que les deux univers partagent un langage. On peut parler d’un vin rond, tranchant, langoureux… exactement comme on décrit un toucher au piano. Cette sémantique commune me permet de faire des ponts. Quand je présente mes concerts-dégustations, je prends le temps d'expliquer pourquoi ce vin va avec tel morceau, comment la texture d’un vin peut rappeler la profondeur d’une œuvre de Brahms ou la délicatesse d’un autre morceau. De plus, tout comme un vin peut catalyser une émotion ou réveiller un souvenir, une œuvre musicale agit sur notre sensibilité. Je cherche ce jeu d’échos, de vibrations partagées.
Quel est le parallèle le plus fort entre le vigneron et le musicien ?
Il y en a beaucoup ! En interrogeant plusieurs vignerons, je me suis rendu compte que tous deux travaillent longtemps dans l’ombre avant de présenter le fruit de leur travail. Tous deux doivent composer avec des aléas. Dans les deux cas, il y a une quête de perfection, une remise en question permanente. Et puis il y a cette idée que le vin comme la musique continuent de vivre après nous : un millésime évolue en bouteille, une interprétation résonne dans la mémoire du public.
Quels sont vos accords préférés vin/musique ?
Un souvenir très fort, c’est une Côte-Rôtie du domaine Jamet : une matière veloutée, riche, d’une grande profondeur. Immédiatement, j’ai pensé à Brahms. Sa musique a ce côté plein, généreux, grave, qui correspond parfaitement à la texture de ce vin. C’était une évidence, presque un flash.
Un autre accord marquant, que j’ai intégré dans Vinophony, c’est le champagne « L’Âme de la Terre » 2005 de Françoise Bedel avec la Chaconne en sol majeur de Haendel. La finesse des bulles, la richesse aromatique et la dimension festive de ce millésime trouvaient une résonance parfaite dans cette œuvre baroque, qui alterne variations pétillantes et apothéose lumineuse. Majestueux, éclatant, jubilatoire : un vrai dialogue sensoriel entre le verre et le clavier.
Comment transmettez-vous cela au public ?
En rappelant que ni le vin ni la musique ne nécessitent un jargon pour être appréciés. Beaucoup de gens me disent : « J’aime, mais je n’ai pas les mots ». D’ailleurs c’est un autre point commun entre le vin et la musique classique (rires). Mais peu importe ! Le ressenti personnel est essentiel. Mon rôle, c’est d’être un passeur, de donner des clés simples pour que chacun ose exprimer ce qu’il ressent. J’insiste : il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, seulement des émotions à partager.
Peut-on dire qu’un vin comme une musique, a un niveau vibratoire ?
Oui. J’ai déjà vécu des moments où un vin, comme un morceau de musique, faisait vibrer tout le corps. Je pense à une cuvée de Richard Leroy en Anjou : on l’a dégustée entre amis, et soudain il y a eu comme une résonance, une émotion partagée qui nous a bouleversés. Cette vibration, je la ressens aussi dans la musique. Et je l’imagine quand quelqu’un du public me confie qu’un passage l’a touché au point d’avoir des frissons ou les larmes aux yeux. C’est ce que je recherche dans les deux univers : cette intensité sensible, ce moment suspendu.
La question du million : qu’est-ce que vous conseilleriez à nos abonnés qui aimeraient mettre un fond musical en dégustant nos bouteilles ?
C’est difficile de donner une règle générale (rires)… mais je partirais du ressenti. Quand vous ouvrez une bouteille, demandez-vous ainsi qu’à vos invités : ce vin vous rend-il joyeux, nostalgique, méditatif ? Est-il austère, solaire, festif ? À partir de cette impression, choisissez une musique qui prolonge l’émotion : quelque chose de pêchu et entraînant si le vin appelle la fête, ou au contraire une musique plus douce, plus smooth, pour accompagner un moment tranquille, si c’est l’ambiance du moment collectif.
Crédits photo : @P.Montag